Vie à bord d’un navire
Divertissement
« Durant la traversée, le fantaisiste avait écrit une pièce, le « Pirate Royal », qui ferait rire le plus blasé des cyniques mais qui fut jouée sur le gaillard d’arrière et reçu force applaudissements, autant destinés au savoir-faire des acteurs qu’au talent du poète, mais un accident transforma la farce en tragédie, et eut pour effet que le conseil interdit de la rejouer, ne serait ce qu’une fois. Voici, les faits : Alexandre le Grand, entouré de ses gardes, interrogeait un pirate qu’on lui avait amené. Le canonnier, qui était ivre, crut que c’était pour de bon et que son camarade était en danger; entendant Alexandre déclarer: « Tes crimes, sache-le, te valent le trépas, demain à la corde tu te balanceras ». Il s’écria -Par Dieu, il ferait bon voir ça !
Et s’élançant dan l’armurerie où il avait laissé ses compagnons affalés, il les prévint :
— Ils vont pendre l’honnête Jack Spinckes et si nous le souffrons, ils nous pendront tous l’un après l’autre ; mais par Dieu ! On ne me pendra pas, car je vais balayer les ponts.
S’emparant d’une grenade et d’une allumette, suivi de ses camarades sabre au clair, il enflamma la mèche et lança le projectile sur la scène […] Les sabres des forcenés eurent vite fait de sectionner le bras du pauvre Alexandre, et Jack Spinckes perdit la jambe dans l’explosion de la grenade. »
Daniel Defoe : « Le Grand Rêve Flibustier »
Repos
Le métier de marin est exténuant, et les marins de repos dorment le plus souvent pendant que l’autre bordée est de quart. Les hommes d’équipage partagent leur hamac avec leur matelot : l’un dort pendant que l’autre est sur le pont.
Apprentissage de la Voile
Lorsqu’ils ne dorment pas, les anciens de repos apprennent aux jeunes, et tout particulièrement à leur matelot, l’art de la voile, en les accompagnant sur le pont ou dans la mâture. Pour être un marin accompli, il faut connaître toutes les manœuvres par leur nom, savoir les exécuter avec promptitude et coordination, mais aussi avoir une vision globale de la manœuvre, qui est nécessaire au travail de Maître d’Équipage. Les marins doivent, avant même de réaliser la manœuvre, connaître le navire lui-même. Chaque voile, espar et cordage doit être connu par son nom, pour son utilité et la façon spécifique de l’utiliser. Tout marin doit aussi savoir correctement faire les nœuds les plus utiles, de la double clé inversée au nœud de chaise. Un peu plus tard, comme passe temps, un marin peut s’entraîner à faire des boules de touline ou autres nœuds élaborés.
Pêche
Les rares matelots qui ont été pêcheurs avant de s’engager passent le plus clair de leur temps libre à pêcher. Cette saine activité est très reposante, passionnante pour beaucoup, et surtout améliore l’ordinaire. Elle est donc fortement sollicitée sur tous les navires, à part peut être les navires de guerre, sur lesquels le confort doit souvent céder le pas à la discipline. Tout bon coq, en échange d’une partie de la pêche qu’il garde pour lui-même, préparera pour le pêcheur ses poissons. Lorsqu’un pêcheur Mosquito pêche, il arrive à nourrir à lui seul un équipage d’une centaine de personnes si on lui en laisse le temps. Tout le monde profite alors du fruit de la pêche, qui peut même être salée pour être conservée.
Les méthodes de pêche usuelles sont la traîne et la ligne pendant que le navire avance, et la dandinette, la pêche à l’arc ou au harpon, durant les escales que bien des marins sont obligés de passer sur le navire, afin de limiter les désertions.
Jeux de Hasard
— Qu’est-ce que vous foutez, vous braillez comme des damnés ?
— Rien, Ange, ce foutu Œil-de-Pie me soutient que les femmes indiennes baisent mieux que les européennes.
— Pauvres cons, leur lance Ange avec un sourire méprisant. Je ne suis pas stupide non plus et vous savez ce qu’il en coûte aux joueurs de cartes.
— Elle disparaît en claquant la porte de la cambuse.
— Bien vu Pince-de-Crabe, tu lui a fermé son caquet.
Les deux hommes ressortent leurs cartes de dessous la table ainsi que leurs mises. Ils arborent tous deux un sourire ravi.
— Sors ton jeu et dis adieu à ta part de prise.
— C ‘est à voir ! Trois as ! Pute vérolée, l’enfer t’engouffre, sale tricheur.
— Essaie de perdre en homme au lieu d’aboyer comme un chien !
— Les poissons vont bouffer tes tripes de rat putride, j’ai moi aussi un as de pique, hurle Œil-de-Pie en sortant ses deux pistolets.
— L’avantage de tricher c ‘est qu’on prévoit les réactions de l’adversaire. Et Pince de crabe fait feu de son pistolet de poche sous la table sur son adversaire.
La portes’ouvre en claquant, et Ange entre, suivi d’un De Vercourt au regard d’acier froid.
— La preuve est trop flagrante pour qu’une assemblée soit nécessaire, annonce froidement le capitaine, décapitant les deux hommes pour le principe.
Les jeux de hasard, et tout particulièrement les jeux de cartes, sont interdits sur un navire, même pirate. Les flibustiers attendent d’avoir des parts de prise à dilapider et d’être à La Tortue ou à la Jamaïque pour se faire plumer. Les matelots des navires de guerre, marchands, ou corsaires qui ont permission de débarquer vont dépenser au jeu leur maigre solde dans les estaminets. Il n’y a que sur les navires pirates qu’on peut refuser aux hommes d’équipage de jouer leur butin même à terre, s’ils le font entre eux. En effet, les jeux de hasard créent des dissensions entre les joueurs. Ces tensions sont à exclure au sein d’un même équipage pirate, pour qui la cohésion est synonyme de survie. De nombreux capitaines pirates, comme Bartholomew Roberts, condamnent à mort les joueurs de cartes. Bien évidemment, la fièvre du jeu est bien trop forte pour s’accommoder de telles lois, et quelques férus de jeu se retrouvent dans les endroits reculés du navire ou dans les pires tripots pour jouer en cachette. Le jeu avec exclusivement des étrangers à l’équipage est toutefois toléré, car il ne met pas en danger la bonne entente de l’équipage. Au contraire même, une saine bagarre avec un autre équipage ne peut guère faire de mal et augmente la cohésion du groupe.