Femmes pirates: anne-bonny
HISTOIRE DE ANNE BONNY
Dans « Histoire des Pirates Anglais » De charles Johnson 1744
Comme nous entrons dans un plus grand détail de la vie de ces deux femmes que de celle des autres Pirates, il est juste qu’en qualité d’historien sincère je commence par leur naissance. Anne Bonny naquit dans une Ville près de Cork en Irlande, son père était Avocat ; mais elle n’était pas légitime ce qui semble démentir un ancien Proverbe Anglais, qui dit, que les Bâtards ont le plus de bonheur. Cet Avocat était marié, sa femme ayant été en couches en retint une maladie, qui la fit résoudre de changer d’air pour tâcher de recouvrir sa santé. Elle se retira près de la mère de son mari qui vivait à la campagne à peu de distance de leur demeure, où elle fit quelque séjour, pendant que le mari pour vaquer à ses affaires restait en Ville avec une servante qu’elle avoir laissée pour avoir soin du ménage. Cette servante était jolie, un jeune homme de la même Ville, qui était Tanneur de son métier, lui fit régulièrement la cour. Un jour qu’il était seul avec elle, & qu’elle avait le dos tourné pour quelque affaire du ménage, il se servit de cette occasion pour prendre trois cuillères d’argent qu’il mit en poche. La servante ne les trouvant plus, & sachant que personne n’avait été dans la maison qu’elle & ce jeune homme, ne douta plus qu’il ne les eût volées. Elle l’en accusa ; mais il nia hardiment le fait ; sur quoi s’étant mise en colère, elle le menaça de le mettre entre les mains de la Justice. Ces menaces l’intimidèrent, il pria la servante de bien chercher par tout, que peut‑être elle les trouverait. Pendant ce temps‑là, il fut à la chambre où elle couchait ordinairement, mit les cuillères entre les draps, & puis sortit par une porte de derrière ; faisant son compte qu’elle s’en apercevrait facilement lorsqu’elle se coucherait, & que le lendemain il ferait passer cette affaire comme un jeu.
Dès que la servante vit qu’il s’en était allé, elle jugea qu’il les avait emportées, & fut sur le champ trouver un Connétable pour le faire arrêter. Le jeune homme ayant appris qu’un Connétable le cherchai, n’y fit aucune attention, se flattant que le lendemain tout irait mieux; mais trois jours après voyant que le Connétable était toujours à ses trousses, il trouva â propos de se cacher, ne pouvant comprendre l’intrigue de cette affaire. Il ne douta en aucune manière que la servante n’eût trouvé les cuillères, & jugea par cette poursuite obstinée, que son intention était d’en faire son profit, & de mettre le vol sur son compte.
Il arriva que dans ce temps‑là, la femme de l’Avocat étant parfaitement rétablie de ses indispositions, revint au logis accompagnée de sa Belle-mère. La première nouvelle qu’elle apprit par la servante, fut le vol de ces cuillères, & que c’était le jeune homme qui les avait prises. Celui-ci reçut en même temps avis de l’arrivée de la Maitresse, & considérant qu’il ne pourrait pas paraître en public a moins que cette affaire ne fût terminée, prit la révolution de l’aller trouver, & de lui faire le récit de toute cette histoire, avec cette différence seulement, qu’il lui disait ne l’avoir fait que par badinage.
La Maîtresse eut peine a le croire pour s’en éclaircir, elle alla immédiatement à la chambre de la servante, où en effet elle trouva les cuillères dans 1’endroit que ce jeune homme lui avait indiqué ; elle le renvoya ensuite avec promesse qu’il ne serait molesté en rien.
Cette aventure l’embarrassa extrêmement, elle n’avoir jamais soupçonné la servante de la moindre infidélité & ne put s’imaginer que son dessein eu été de se servir de cette occasion pour voler les cuillères. Après bien des réflexions, elle conclut que selon toutes les apparences la servante ne s’était pas couchée dans ce lit depuis que les cuillères y avaient été mises. La jalousie s’empara d’abord de son cœur, elle crue avec raison que pendant son absence, elle avait pris sa place près de son mari, & que c’était là la cause pour laquelle les cuillères y étaient restées si longtemps.
Elle rappela dans sa mémoire toutes le caresses que son mari avoir faite à la servante, le moindre sourire, qui dans tout autre temps ne serait qu’une bagatelle, lui parut pour lors un crime qu’elle ne pouvait lui pardonner, après des preuves si certaines de son infidélité. Une autre circonstance la fortifia dans cette pensée; ce fut l’absence de son mari, qui sur l’avis de son arrivée était parti ce jour‑là même sous quelque prétexte frivole, quoiqu’il y eût quatre mois qu’ils n’eussent couchez ensemble ; toutes choses jointes confirmèrent sa jalousie.
Les femmes pardonnent rarement les injures de cette nature; celle‑ci pensa d’abord à faire sentir à la servante les effets de sa vengeance. Pour cet effet, elle remit les cuillères au même endroit où elle les avait trouvées, & ordonna à la servante de mettre d’autres draps dans le lit, sous prétexte qu’elle y voulait coucher, d’autant que la Belle-mère coucherait dans le sien. La servante obéit mais quelle fut sa surprise à la vue de ces culières. Elle résolut d’abord de n’en rien dire pour des raisons à elle connues, & que l’on peut facilement comprendre ; c’est pourquoi elle les enferma dans son coffre à dessein de les mettre ensuite dans quelque endroit écarté, & de faire ensuite semblant de les avoir trouvées comme par hasard.
La Maitresse pour faire voir que c’était sans aucun dessein particulier qu’elle avoir donné ces ordres à la servante, coucha en effet dans son lit, ne songeant rien moins qu’à l’aventure qui lui arriva. Après avoir été quelque temps au lit sans pourvoir fermer l’œil, rêvant sans cesse à ce qui s’était passé, elle entendit quelqu’un, qui marchait dans la chambre, elle crut d’abord que c’étaient des voleurs ; elle en fut si fort effrayée qu’elle n’eut pas le courage de crier au secours ; mais entendant peu après ces mots, Marie, dormez‑vous ? Elle se remit un peu reconnaissant la voix de son mari ; & de peur d’être reconnue à son tour, elle ne lui dit aucune réponse, bien résolue d’attendre ce qui en pourrait arriver.
Cependant le mari se mit au lit, & y fit son devoir en amant passionné & vigoureux. La femme de son coté y était très sensible ; une seule chose la chagrina, c’est que ce n’était pas pour son compte : elle souffrit néanmoins ce petit contretemps avec une patience admirable. La femme sortit du lit avant que le jour parut, & fut trouver sa belle-mère, à qui elle fit confidence de ce qui venait de se passer, sans oublier les caresses de son époux, dont il fut si libéral envers elle en la prenant pour la servante. Le mari qui n’aurait pas voulu être surpris dans cette chambre en sorti pareillement peu de temps après. Cette aventure, qui la rendit si certaine de l’infidélité de son mari, mit le comble à sa jalousie, elle résolut sans perte de temps d’exécuter la vengeance qu’elle méditait contre sa servante, quoiqu’elle lui fût redevable des plaisirs de la nuit passée. On fit venir sur le champ un Connétable, la servante fut accusée d’avoir volé les cuillères, on ouvrir son coffre, les cuillères y furent trouvées, & la pauvre fille, quoi qu’innocente de ce crime, fut menée devant un juge de paix, & de la conduire en prison.
Le mari ne se rendit au logis que sur le midi, feignant de revenir de la campagne. Dès qu’il apprit que la servante avait été conduite en prison, il s’emporta furieusement contre sa femme, qui de son côté lui chanta pouilles, la mère prit son parti contre son propre fils, la querelle ne fit qu’augmenter, de sorte que la mère & la femme n’y pouvant plus tenir, elles retournèrent à la campagne ; depuis ce temps le mari ne coucha plus avec sa femme.
La servante resta longtemps en prison à cause des assises qui ne se tinrent que six mois après : pendant ce temps‑là, on reconnut qu’elle était enceinte. Ayant été ensuite menée devant la barre, elle fut pleinement déchargée, faute de preuves contre elle. La femme ne fit plus aucune poursuites ; elle savait en conscience que l’amour était le seul crime qui la rendait coupable, de sorte qu’elle ne s’opposa point à sa sortie: & la servante accoucha peu de temps après d’une fille.
Ce qu’il y eut de plus curieux dans cette aventure, fut que la femme devint aussi enceinte. Le mari en fut alarmé, il était persuadé de n’avoir point couché avec elle depuis ses dernières couches, ce qui le rendit jaloux à son tour. Cependant il en prit occasion de justifier sa conduite à son égard, en faisant courir le bruit qu’il y avoir longtemps qu’il la soupçonnait, & que présentement il avoir des preuves très convaincantes de ses justes soupçons. La femme accoucha de deux jumeaux; s’avoir, d’un garçon & d’une fille.
Dans ces entrefaites la mère tomba malade, elle fit venir son fils pour le réconcilier avec sa femme ; mais celui‑ci n’en voulut rien faire ; sur ce refus la mère laissa par testament tout son bien entre les mains de certains Curateurs pour le distribuer à la femme & aux deux enfants dernièrement nez, & mourut peu de jours après.
Ce fut un coup bien malheureux pour lui, d’autant que toute sa fortune dépendait du bien qu’il espérait de sa mère. Cependant sa femme lui était plus affectionnée que dans le fond il ne méritait ; car malgré leur séparation qui continuait toujours, elle eut la bonté de lui faire part des biens que la mère avait laissez, en lui payant une certaine pension annuelle ; ce qu’elle continua près de trois ans. Mais comme dans ce temps‑là le mari prit beaucoup d’affection pour la fille qu’il avoir eue de sa servante, il résolut de la faire venir chez lui; & pour mieux déguiser ce dessein, & en ôter la connaissance a sa femme, il la fit habiller en garçon, la faisant passer pour le fils d’un de ses parents qu’il avais pris chez lui poux l’élever, & en faire un Clerc.
La femme l’ayan appris, & que d’ailleurs il aimait tendrement cet enfant, elle se douta de la supercherie, d’autant plus qu’elle savait bien qu’aucun de ses parents n’avait un pareil enfant. Sa jalousie se réveilla, & pour mieux s’assurer de ce qu’elle craignait si fort, elle pria un de ses amis d’examiner cette affaire. Celui‑ci se promenant un jour avec l’enfant découvrit qu’elle était fille, & que la servante était sa mère, avec laquelle le mari entretenait toujours une étroite correspondance.
Sur cet avis la femme retira tout d’un coup la pension, en disant qu’elle ne voulait consentir que le bien de ses enfants servît pour l’entretien des Bâtards. Le mari en devint enragé, & prit par une espèce de vengeance la servante chez lui, & vécut publiquement avec elle au grand scandale de tout le voisinage.
Mais les effets de sa vengeance retombèrent bientôt sur lui‑même; car ayant perdu peu à peu toutes les pratiques, il vit bien qu’il ne pourrait plus subsister longtemps, c’est pourquoi il résolu de se retirer. Pour cet effet, après avoir converti tous ses effets en argent comptant, il se rendit à Cork où avec sa servante & sa fille, il s’embarqua pour la Caroline.
Au commencement il gagna sa vie en exerçant l’emploi d’Avocat; mais s’étant ensuite appliqué au commerce, il y réussi si bien, qu’il se vit bientôt en état d’acquérir un Plantage très‑considérable. Sa servante, qui avoir toujours passé pour sa femme, étant morte, il chargea sa fille, qui était notre Anne Bonny, du soin du ménage.
Cette fille était d’un tempérament féroce avec beaucoup de courage. Dans le temps qu’elle était condamnée, on débita plusieurs histoires sur son compte, la plupart à son désavantage. On dit entre autres choses, qu’un jour étant occupée au ménage de son père, elle s’était si fort emportée contre une servante Anglaise, quelle la tua sur la place d’un coup de couteau.
Qu’un jeune homme ayant voulu s’approcher un peu trop près d’elle contre son gré, elle le mordit si cruellement qu’il en fut fort mal pendant un temps très considérable.
Pendant qu’elle vivait chez son père, elle était regardée comme un bon parti aussi songea t’il à la marier avantageusement. Mais elle fut cause de tout son malheur en se mariant à un jeune Matelot qui l’avait pas un sol, & cela sans le consentement du père, qui, en fut si fort irrité qu’il la chassa pour jamais de chez lui. Le jeune homme qui crut faire une bonne fortune et épousant cette fille, se trouva fort éloigné de son compte ; dans cette extrémité, il s’embarqua avec sa femme pour l’île de la Providence, où il espérait trouver de l’emploi.
Anne Bonny y étant arrivée fit bientôt connaissance avec le Pirate Rackam, qui lu fit régulièrement la Cour : il s’insinua si bien dans ses bonnes‑grâces, qu’il sut la persuader d’abandonner son mati, c’est ce qu’elle fit, & s’étant déguise en homme elle suivit Rackam, qui la mena avec lui sur mer. Peu de temps après elle devint grosse, & le terme de l’accouchement étant venu, il la mit à terre dans l’île de Cuba, où il la recommanda à quelques amis qui eurent soin. Enfin elle accoucha, & étant bien rétablie, Rackam, l’envoya prendre pour lui tenir compagnie.
La Proclamation du Roi ayant été publiée, par laquelle on pardonnait aux Pirates qui se rendraient, Rackam s’y soumit. Mais quelque temps après ayant été employé par le Gouverneur Rogers, comme nous l’avons remarqué dans l’histoire de Marie Read, pour croiser contre les Espagnols, il se révolta, & reprit son ancien métier. Anne Bonny lui tint toujours fidèle compagnie, & fit voir dans plusieurs occasions ou elle se trouva, qu’elle ne cédait à personne en courage ni en bravoure, & particulièrement le jour que la Chaloupe fut prise, elle, Marie Read, avec encore un autre, furent les seuls qui osèrent rester sur le tillac comme nous l’avons déjà observé. Son père était connu de plusieurs Gentilshommes qui avaient leurs Plantages à la Jamaïque; il avait même la réputation d’un honnête homme. En cette considération plusieurs d’entre ceux‑ci qui se souvinrent d’avoir vu Anne Benny chez son père, tachèrent de lui rendre tous les services qui leur étaient possibles ; mais l’action qu’elle avait commise de quitter son mari pour suivre un Pirate, fut une circonstance qui aggrava beaucoup son crime. Le jour que Rackam fut exécuté, on lui permit par grâce spéciale de voir Anne Bonny ; mais pour toute consolation, elle lui dit: Qu’elle était fâchée de le voir dans cet état ; si ajouta t’elle, vous aviez combattu comme un homme, vous ne vous verriez pas pendre comme un chien.
Elle resta en prison jusqu’au temps de son accouchement: Son exécution fut différée de temps en temps ; mais ce qu’elle devint de puis, c’est ce que je ne saurais dire, tous ce qui nous est connu ,c’est qu’elle n’a pas été exécutée.