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HISTOIRE DE MARIE READ 2

Dans « Histoire des Pirates Anglais » De charles Johnson 1744

Ces Armateurs eurent à peine mis à la voile, que les équipages de quelques‑uns se soulevèrent contre leurs Commandants, pour recommencer leur ancien métier de Pirates : de ce nombre était Marie Read. Il est vrai que souvent elle a déclaré qu’elle avait en horreur ce genre de vie, & qu’elle ne s’y était engagée qu’à force de sollicitations, quoique dans le temps que son procès fut instruit, deux hommes déposèrent sous serment, que pendant quelque action, aucun Pirate n’avait paru ni si résolu ni si prêt à aller à l’abordage, ou à entreprendre quelque chose où il y eût du danger, qu’elle & Anne Bonny. Que particulièrement dans cette dernière action où elles furent prises, personne ne resta sur le tillac que Marie Reed, Anne Bonny, avec encore un autre que sur le refus que firent ceux qui étaient sous le tillac de venir au combat, Marie Read avoir fait feu sur eux, dont un Pirate fut tué & plusieurs autres blessez.

Voilà en partie ce qu’on déposa contre Marie Read; mais elle le nia. Quoiqu’il en soit, il est certain qu’elle ne manqua pas de courage, & qu’elle ne fut pas moins remarquable par sa modestie ; car personne n’eut jamais le moindre soupçon de son sexe, jusqu’à ce que Anne Bonny, qui n’était pas si délicate en matière de chasteté, devint amoureuse d’elle, la prenant pour un beau & jeune garçon. Anne Bonny qui voulut satisfaire sa passion, découvrit son sexe à Marie Read qui jugeant par-là des desseins de cette amoureuse, fut obligée à sont tour de lui déclarer qu’elle était aussi‑bien femme qu’elle, & par conséquence hors d’état de la contenter. La grande familiarité qu’il y eut entre elles donna de la jalousie au Capitaine Rackam, qui était le Galant d’Anne Bonny, jusque-là qu’il menaça sa Maîtresse de couper la gorge à son nouvel amant; mais Anne Bonny, pour prévenir ce fâcheux accident, lui fit part du secret avec prière de ne le pas révéler.   

Le Capitaine Rackam tint sa parole, & garda si bien le secret, que personne de la troupe n’en eut jamais connaissance. Mais malgré toute son industrie & toute sa retenue, l’Amour la sut bien trouver sous son déguisement, & lui fit bientôt sentir qu’elle était femme, comme nous l’allons voir. Les Pirates prirent pendant leur course grand nombre de Vaisseau appartenant à la Jamaïque, & autres endroits des Indes Occidentales, qui allaient & venaient d’Angleterre. Lorsqu’ils rencontraient quelque Artisan, ou autre personne dont ils pouvaient tirer quelque utilité pour le bien de la Compagnie, ils le gardaient degré ou de force. Parmi ceux‑ci était un jeune homme beau & bien fait, du moins il parut tel aux yeux de Marie Read, qui en devint si passionnément amoureux, qu’elle ne pouvait reposer ni jour ni nuit. Comme rien n’est plus ingénieux que l’Amour, elle aurait bien put trouver le moyen de lui découvrir son sexe; mais elle jugea à propos de s’en faire premièrement aimer en qualité d’ami. Elle s’insinua dans son esprit en maudissant la vie de Pirate qu’elle savait lui être odieuse ; de sorte qu’en peu de temps, ils devinrent intimes & inséparables. Dès qu’elle fut bien assurée de l’amitié qu’il lui portait, elle crut qu’il était temps de lui découvrir son sexe; ce qu’elle fit, en lui montrant, comme par mégarde, une Gorge d’une blancheur extraordinaire.

La vue d’un semblable objet, auquel le jeune homme ne s’attendait pas, excita sa curiosité. Il la pressa si vivement, qu’enfin vaincue par les importunités, elle lui déclara ce qu’elle souhaitait si ardemment qu’il sut. Après cette connaissance, il devint passionnément amoureux d’elle ; sa paisson n’était pas moins violente que la sienne, elle en donna bientôt des marques par une action aussi généreuse que l’Amour ait jamais put inspirer. Il arriva que dans le temps que leurs Vaisseaux étaient à l’ancre près d’une île, ce jeune homme prit querelle avec un de la troupe. Ils se donnèrent rendez‑vous à terre pour s’y battre selon la coutume des Pirates Cette nouvelle troubla extrêmement la pauvre Marie Read, elle en fut toute agitée, non pas qu’elle souhaitât qu’il eût refusé d’accepter le défi, elle avait elle‑même trop de courage pour souffrir la moindre lâcheté dans son Amant; mais elle en appréhenda le succès, & craignit qu’un bras plus fort ne terrassa cet objet si aimé, sans lequel elle ne pouvoir se résoudre à vivre. Lorsque l’Amour s’est emparé d’un cœur généreux, il l’incite aux actions les plus nobles. Marie Read aima mieux exposer sa vie, que de hasarder celle de son Amant ; dans cette résolution, elle fit querelle d’Allemand au Pirate, & le défie au combat. Le Pirate accepte le défi, & s’étant trouvez au rendez‑vous deux heures avant le temps marqué pour le combat de son Amant, ils se battirent avec le sabre & le pistolet; & Marie Read eut le bonheur de vaincre leur ennemi commun qu’elle tua sur la place.

Il est vrai qu’elle s’était souvent trouvé en pareils duels, lorsqu’elle avait été insultée par quelqu’un de la troupe; mais ce dernier était l’effet de son amour. Son Amant en fut si pénétré, que la reconnaissance augmenta de beaucoup l’affection qu’il lui portait déjà. Enfin ils se donnèrent la foi de mariage, que Marie Read crut aussi valable en conscience, que s’il eût été fait devant quelque Ministre de l’Eglise, d’autant plus qu’il n’y avait moyen de le faire autrement. Elle devint grosse bientôt après, ce qui lui donna ensuite occasion de se défendre pour sauver sa vie.

Elle déclara n’avoir jamais commis le pèche de la chair avec quelque homme que ce fût, encore moins celui d’adultère, & pria la Cour de Justice, devant laquelle elle était citée, de distinguer fort exactement dans la sentence la nature de ces crimes. Lorsque son mari (car c’est ainsi qu’elle le nommait) fut absous avec encore quelques autres, on lui demanda qui il était ; mais elle ne le voulut avouer, se contentant de dire qu’il était honnête homme, dont les sentiments était fort éloignez de semblables pratiques, & qu’ils avaient résolu ensemble d’abandonner à la première occasion la Piraterie pour s’appliquer une vie plus honnêtes

Il est certain qu’on eut compassion d’elle, mais la Cour ne put s’empêcher de la condamner ; car entre autres chose qu’on déposa contre elle, on prouva qu’un jour discourant avec le Capitaine Rackam, ce lui‑ci la prenant pour un jeune homme, lui demanda, quel plaisir elle pouvait prendre à s’engager ainsi parmi les Pirates; que la vie était non seulement dans un danger continuel, mais qu’une mort ignominieuse se la devait terminer, si elle avoir le malheur d’être prise. Sur quoi Marie Read répondit : Que la potence n’était pas ce qu’elle appréhendait Que les gens de courage ne devaient point craindre la mort. Si les Pirates, disait‑elle, n’étaient puni d’une telle manière, & que la peur ne retint beaucoup de Poltrons, mille fripons qui paraissent honnêtes gens, & qui néanmoins ne s’appliquent présentement qu’à tromper la Veuve & l’Orphelin, ou à chicaner & supplanter leurs Voisins, se mettraient aussi en mer pour voler impunément, & 1’Ocean ne serait couvert que de cette canaille: ce qui causerait la perte totale du commerce.

Nous avons vu ci-devant qu’elle était enceinte, sur quoi la Cour fit surseoir l’exécution, & il y a apparence qu’elle aurait obtenu son pardon; mais peu de temps après elle fut attaquée d’une fièvre violence dont elle mourut en prison.